PAGE D' ACCUEIL

LES CHICACHAS OU TÊTES-PLATES*

Les problèmes entre les Français et les Chicachas (Chicasaw) devaient commencer en 1670 quelque temps après le débarquement et la fondation de Charleston à l'embouchure du fleuve Ashley par cent cinquante colons Britanniques en Caroline du Sud. La nouvelle colonie avait un triple but: prévenir la progression des missions espagnoles vers le nord depuis la Floride dans les territoires revendiqués par la Grande-Bretagne; établir des plantations et commercer avec les tribus de la région. Malheureusement, il n'y avait pas assez de main-d'œuvre pour les plantations et les marchands de Virginie avaient de bonnes relations avec les tribus charoquis (Cherokee) et les Sioux du piedmont à l'ouest. Incapable de surmonter l'avantage des Virginiens, les marchands de Caroline furent obligés de regarder ailleurs pour trouver des clients. Pendant que les Français étaient préoccupés avec leur guerre dans la région des Grands Lacs contre les Iroquois et La Salle d'essayer d'établir une colonie française sur la côte du Texas en 1686, les marchands de Charleston étaient capables d'atteindre le fleuve Mississipi. En 1685, Henry Woodward avait un poste parmi les Crics (Creek) dans le nord de l'Alabama et il envoya deux hommes pour commercer avec les Chicachas. En 1698, Thomas Welch, guidé par Jean Couture, un Français sans ressources du Poste-des-Arkansas qui commerçait avec les Indiens quipas (Quapaw) sur la rivière Arkansas, amena des marchands britanniques dans les villages chicachas.

Le commerce des fourrures avait poussé les Français dans les régions des Grands Lacs mais la vallée basse du Mississipi n'avait pas assez de castors pour les faire avancer plus au sud. A l'exception du Poste-des-Arkansas établi par de Tonti vers les villages quipas en 1686, la France avançait lentement dans l'exploitation des ressources dans la région que La Salle avait revendiquée en 1682. La peau de daim était très recherchée par les Britanniques, mais pour eux, le principal intérêt de la région était de leur fournir des indigènes comme esclaves pour leurs plantations des Carolines et des Antilles. Les Chicachas fournissaient des esclaves aux Britanniques pour s'enrichir et avoir un avantage sur leurs ennemis chactas. Ainsi un épouvantable marché fut fondé. Les Britanniques armèrent les Chicachas qui, situés à l'ouest, ne représentaient pas un danger pour leurs implantations et ceux-ci qui ne voyaient pas encore d'Européens prendre leur terre, achetaient ces armes en capturant les femmes et les enfants des tribus voisines. A part le fait que ces gens étaient une plus dangereuse proie que les daims, le reste des affaires était plus facile. Les peaux de daim exigeaient de longs cortèges de chevaux pour porter les charges pour gagner Charleston mais le "chargement humain" pouvait marcher. 

Les Français étaient dominants en Amérique du Nord. Inquiets des relations commerciales des Anglais dans la basse vallée du Mississipi, les Français décidèrent d'établir leur autorité dans la région. Cette année là, l'archevêque de Québec déclara que la Louisiane faisait partie de son diocèse et qu'il enverrait prochainement les pères Francis Jolliet de Montigny et Antoine Davion pour établir des missions jésuites dans la région.

Davion visita plusieurs villages chicachas mais après une réception froide, il décida d'être contre la mission parce que les Chicachas étaient déjà sous "l'influence" des protestants britanniques. Chose assez intéressante, un des arguments britanniques pour justifier leur commerce d'esclaves d'indigènes était qu'il ne fallait pas que ce peuple tombe sous "l'influence" des Catholiques. Les Chicachas terrifiaient toutes les tribus de la région pour capturer des esclaves pour les Britanniques et la présence française, religieuse ou autre, n'était pas bonne pour les affaires. Davion établit sa mission avec les Indiens tunicas qui étaient souvent les victimes de l'entreprise anglo-chicacha. 

La France et l'Espagne étaient très rivales dans le Nouveau-monde et pour cette raison, Marquette et Joliet retournèrent immédiatement aux villages quipas quand ils découvrirent que les Espagnols y faisaient du commerce. La Salle avait revendiqué la région pour la France en 1682, mais sa vaine tentative pour établir une colonie française sur la côte du Texas avait déclenché une riposte militaire espagnole pour les en chasser. Toutefois, comme une nouvelle guerre se profilait avec la Grande-Bretagne (1701-1713), les Français et les Espagnols en 1699 se retrouvèrent alliés par force et dans une situation peu commode. L'Espagne n'était pas en force pour s'opposer à une colonie française sur la côte du Golfe bien qu'ils se soient dépêchés de construire un nouveau fort à Pensacola en 1698 pour protéger leur possession. Un an plus tard, Pierre Le Moyne d'Iberville fondait Fort Maurepas à Biloxi.(voir PREMIER ÉTABLISSEMENT FRANÇAIS)

La présence des militaires français dans le Bas-Mississipi était faible et ils ne pouvaient pas faire grand chose pour aider leurs alliés espagnols pendant cette guerre autrement que d'accueillir des réfugiés apalaches de Floride. Cependant, sous le prétexte de la guerre, les marchands d'esclaves de Caroline du sud avec leurs alliés crics (creek) et yamasis attaquaient et détruisaient les missions espagnoles du nord de la Floride et emportaient des milliers d'indigènes captifs pour les vendre comme esclaves à Charleston.

Les Français concentrèrent leurs efforts sur la construction de bonnes relations et de faire du commerce avec les tribus de la région qui, apprenant que les Français au contraire des Britanniques, n'avaient pas l'intention d'en faire des esclaves, leur demandèrent de les approvisionner en armes pour qu'ils puissent se défendre eux-mêmes contre les Chicachas. Il n'était pas facile de procurer autant d'armes aux Indiens alliés. Les Anglais avaient procuré environ huit cents fusils aux Chicachas. D'Iberville engagea Henri de Tonti. Celui-ci avait abandonné son poste commercial des Illinois pour rejoindre la colonie du sud et établit des relations amicales avec les Chicachas pour les détourner des Britanniques. De Tonti visita les villages chicachas et après leur avoir rappelé la rencontre amicale avec La Salle en 1682, invita leurs minkos à une rencontre avec d'Iberville et les autres tribus à (au) Fort Louis de la Louisiane2 (Mobile, Alabama) au printemps de 1702.

La réponse des Chicachas fut positive mais pour gagner Mobile, ils devaient d'abord passer sur le territoire des Chactas (de récents raids chicachas avaient eu lieu contre leurs ennemis chactas; ces raids tuèrent deux mille Chactas et firent autant de prisonniers conduits en esclavage) ou faire un long détour à travers le territoire des Crics en Alabama. Parce qu'il y avait des marchands britanniques vivant parmi les Crics, de Tonti décida que la route directe était préférable. Mais à son second voyage pour négocier une trêve entre les Chactas et les Chicachas pour un passage sûr, ses éclaireurs découvrirent une grande bataille commencée entre ces deux ennemis irréductibles. Apparemment, la main droite du commandement des Têtes-plates n'était pas toujours au courant de ce que faisait la main gauche et de Tonti fut finalement obligé d'escorter personnellement les Chicachas à Mobile. A la conférence, Iberville donna quelques cadeaux et mit en garde les Têtes-plates vis à vis des intentions des Britanniques de prendre leur terre et demanda qu'ils cessent leur commerce d'esclaves. En cas de refus, il les menaça d'armer les autres tribus contre eux pendant qu'en même temps il faisait miroiter des offres intéressantes de biens français à un prix plus bas que ceux des Anglais. Il fut difficile pour les Chicachas de refuser et ils acceptèrent la protection des Français avec la clause qu'ils ne seraient pas missionnaires. Le Français envoya Michel Voison, un garçon de quatorze ans pour vivre avec les Chicachas ostensiblement pour apprendre leur langue mais aussi en conformité avec l'accord. Évidemment, les Britanniques ne restèrent pas sans rien faire pour laisser les Français prendre leur place. Les marchands de Caroline baissèrent leurs prix et comme le rapporta Michel, ils redoublèrent leurs visites aux Chicachas. Ils persuadèrent aussi les Indiens alibamous (alabama) de tromper les Français en les attirant hors de Mobile pour les tuer. Pour la plupart, les chefs chicachas essayèrent de tenir parole envers les Français mais les pots-de-vin offerts par les marchands de Caroline, comme pour la paix arrangée avec les Iroquois en 1706, provoqua une scission entre les pro-britanniques et les pro-français... Cette division persista durant les hostilités qui suivirent. En 1705, les marchands britanniques engagèrent des pro-britanniques pour reprendre leurs raids esclavagistes et la paix fragile vacilla. Les troubles empirèrent quand des Chactas furieux tuèrent les hommes d'une délégation chicacha en route pour Mobile pour une rencontre avec les Français. Les cadeaux d'Iberville offert par diplomatie sauva la situation mais ayant contracté la fièvre jaune aux Antilles pendant qu'il combattait les Britanniques, il mourut à La Havane. De Tonti succomba de la même maladie qu'il contracta à Mobile en 1704.

Le frère d'Iberville, Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville prit leur succession. C'était un homme compétent mais plutôt enclin à l'action plutôt qu'à la diplomatie dans les rapports avec les Chicachas. Après que les Chactas eurent perdu plus de quatre cent cinquante personnes dans des raids chicachas, Bienville commença secrètement à leur procurer des armes. Bien sûr, il n'y eut plus rien de secret après que les bandits chicachas furent accueillis avec des balles plutôt qu'avec des flèches quand ils attaquaient les villages chactas. Il s'ensuivit que le commerce d'esclaves des Britanniques déclina dans la région. En 1711, les Indiens tuscarorins, ne supportant plus le départ de leurs femmes et leurs enfants en esclavage pour payer leurs dettes envers les marchands et l'occupation de leur terre par des colons suisses alémaniques, attaquèrent par surprise et tuèrent plus de deux cents Blancs en Caroline du Nord. Les Virginiens pensèrent que les Caroliniens récoltaient ce qu'ils avaient semé et refusèrent de les aider mais la Caroline du sud envoya deux petites armées et des centaines de mercenaires yamasee pour écraser la révolte. Les colons de Caroline n'en firent pas une expérience. Le marchand de Charleston, James Moore vendit quatre cents prisonniers tuscarorins en esclavage pour financer cette expédition.

Quatre ans plus tard, ce fut le tour des mercenaires yamaseee. Quoiqu'ils aient bien servi les Britanniques dans l'asservissement des tribus de la Floride espagnole, les Yamasee devinrent les victimes de leurs abus, tout comme les Tuscarorins, quand les marchands de Caroline commencèrent à saisir leurs enfants pour dettes. Leur réponse fut la guerre (1715-1717) qui rapidement s'étendit aux tribus du Piedmont parlant le sioux, les Crics et quelques Charoquis. Cela coûta cher aux Britanniques avant qu'ils soient capables de pousser les tribus rivales à vaincre leurs ennemis. Les Charoquis se retirèrent au début du combat et tuèrent les membres d'une délégation crique (creek) qui étaient venus pour proposer leur aide pour combattre les Britanniques. Les sentiments de haine entre les Crics et les Charoquis depuis lors perdurèrent encore longtemps.

En 1717, les Chicachas attaquèrent les tribus caddaux dans l'ouest de la Louisiane  non seulement parce que les Français leur fournissaient des armes à feu mais aussi parce qu'ils s'étaient organisés en confédération pour se défendre. Le commerce déclina dans la région. La peau de daim fut très recherchée pour le cuir après qu'une épidémie eût décimé le bétail européen.

Les Français prirent avantage du soudain déclin de l'influence britannique après la guerre contre les Yamasis. En 1710, Antoine Crozat obtint une charte royale pour coloniser la Louisiane et en 1712, envoya son ami Antoine de La Mothe-Cadillac à Mobile pour prendre la place de Bienville qui avait pris les fonctions de gouverneur depuis la mort de son frère. Bienville et Cadillac ne s'aimaient guère et la nomination divisa les Français en deux camps. Cadillac avait eu la responsabilité  de construire le poste de commerce de Détroit en 1701. Sa mauvaise politique d'inviter plus de tribus à s'installer tout près dans la région qu'elle ne pouvait en supporter aboutit à une guerre (1712-16; la guerre des Renards), une lutte interne qui démembra presque entièrement l'alliance entre les Français et les Algonquiens des Grands Lacs.

A part son erreur de jugement à Détroit, Cadillac avait prouvé sa compétence de commercer avec les tribus des Grands Lacs. Peut-être à cause de la chaleur de la côte du Golfe ou Bienville le poussant, il ne fit jamais les aménagements nécessaires dans le Sud. Au lieu de cela, le Français devenait tyrannique et agissait de façon excessive. Il donna la permission d'asservir les Chicachas alliés aux Britanniques en 1713. Puis se rendant dans les Illinois en 1715, Cadillac refusa de s'arrêter et de se conformer à la tradition du calumet de la paix avec les Natchez, la plus puissante tribu le long du Bas-Mississipi et un allié important. Plus qu'une bourde, ceci fut perçu comme une très grave insulte et les commerçants français furent harcelés sur le fleuve pour les voler et quelquefois les tuer. Cadillac avait laissé le pouvoir à Bienville. Toujours un homme d'action, Bienville avec une petite armée se rendit aux villages Natchez et les arrêta au sud près d'un village tunica. Une délégation natchez vint avec le calumet pour négocier. Bienville demanda la tête des responsables pour les meurtres récents. Il obtint finalement ce qu'il voulait et retourna à Mobile. Malgré cela, les Natchez donnèrent la permission aux Français de construire Fort Rosalie sur leur territoire en 1716 et les Français tentèrent leur chance plus loin. Après le déclenchement de la guerre entre les Anglais et les Yamasee, les Français renouvelèrent leur demande aux Têtes-Plates pour qu'ils cessent leur commerce d'esclaves avec les Britanniques; celle-ci, comme d'habitude, fut ignorée. Alors Bienville organisa l'attaque de marchands britanniques qui approvisionnaient les Chicachas. Ceci avec l'aide de mercenaires chactas. Ils attaquaient en embuscade les caravanes de marchandises sur le sentier des marchands; un chemin dans une étendue sauvage commençant à Charleston et courant à l'ouest vers Augusta et la rivière Cousa avant de continuer au nord pour éviter les Français et suivre la rivière Tennessee jusqu'aux villages chicachas de l'autre côté. Les Chactas étaient payés pour leurs services en biens avec des bonus pour chaque scalp de Chicacha rapporté à Mobile.

1En Français, les Chicachas sont aussi appelés Tchakchas ou Chicassas. (en Anglais: Chicasaw).

2"Fort Louis de la Louisiane" à l'emplacement de Mobile en Alabama est la capitale de la Louisiane; "Fort Condé de la Mobile" est non loin de là.

LES CHICACHAS 2ème PARTIE

PAGE D' ACCUEIL